Une soirée dans une chorale participative : « Même ceux qui chantent mal sont les bienvenus ! »

Publié le 10 août 2025 à 08:28

JOUR DE FÊTE (4/5). Les chorales participatives cartonnent où qu’elles s’implantent. Le concept est simple : un chef de chœur, une foule de chanteurs du dimanche et une ambiance de folie.

 

Un parfait mélange entre un karaoké géant et un bar dansant. Au Grand Bréguet, bar niché au cœur du 11e arrondissement de Paris, près de trois cents personnes sont rassemblées, mercredi 9 juillet, pour chanter. Aucun d'entre eux n'est professionnel. Quelques-uns sont inscrits dans une chorale, mais, pour la plupart, leur rapport au chant se limite à leurs douches. Par ce soir chaud de juillet, tous partagent la même envie : s'époumoner sur des tubes intemporels et, surtout, faire la fête.

La soirée commence à 20 heures et c'est le charismatique Marco Avallone, chef de chœur de la chorale Envie de chanter et fondateur de ces soirées chorales participatives au Grand Bréguet, qui mène au doigt cette troupe improvisée. Grâce à sa voix de ténor, il entraîne, avec beaucoup d'humour, ses choristes. La foule se prend au jeu instantanément et le suit dans ses harmonies. Véronique Sanson, Michel Sardou, Adèle, ABBA, U2, David Guetta…

Au premier rang, Maylïs et Anne-Charlotte, 29 et 27 ans, bières dans une main et cahier de paroles dans l'autre, se déhanchent et chantent au rythme du single « Space Oddity » de David Bowie. La première, qui a déjà participé six fois à ce rendez-vous mensuel au Grand Bréguet, vante les vertus de cette pratique : « En entrant ici, tu laisses tes problèmes dehors. Je me sens vraiment libérée dans un espace sans jugement. » Car dans cette salle aménagée pour l'occasion, même ceux qui chantent faux – et il y en a – s'amusent.

« Une production magique d'énergie collective »

Marco Avallone, fondateur de la chorale Envie de chanter, mais également sonothérapeute et coach en transition professionnelle, a lancé ce concept il y a une dizaine d'années. « Ici, on chante avec un verre à la main. Certes, notre chorale participative n'est ni la plus musicale ni la plus disciplinée du monde ; le public crie parfois plus qu'il ne chante. Mais l'important se trouve ailleurs : il s'agit de faire la fête, de se retrouver et de chanter tous ensemble », explique-t-il avant de monter sur scène.

Moyennant 2 euros l'entrée, les choristes éphémères reçoivent, le temps de la soirée, un épais cahier de paroles qui leur permet de suivre Marco Avallone. Accompagné de quelques choristes permanents de sa troupe Envie de chanter, le ténor veut créer une « bulle hors du temps ».

« Il y a un aspect cathartique au chant, et de surcroît, il y a cette production presque magique d'énergie collective, comme dans un stade, constate-t-il. Il existe des piscines pour nager, des stades pour faire du sport, mais il n'y a pas vraiment d'endroit où n'importe qui peut venir chanter sans contrainte, sauf ici et quelques autres chorales participatives. »

Clément, jardinier en collectivité de jour et choriste le soir, fait partie de la troupe permanente d'Envie de chanter depuis un an. Arborant une perruque vert fluo, il a coanimé la soirée et galvanisé les chanteurs du jour : « Cette expérience de chant partagé avec l'audience procure un sentiment de bonheur que je n'ai jamais éprouvé ailleurs. Le public est conquis et nous reconnaissons certains visages d'habitués. Si nous savons que la musique fait généralement du bien aux gens, qu'elle transporte et égaye, ici, l'expérience collective est décuplée. »

Au fil de la soirée, les corps se décontractent et les voix se libèrent. « Après une journée éprouvante avec mes patients, c'est simple, je revis », confie Pénélope. « Même ceux qui chantent mal sont les bienvenus, et c'est ça qui est beau », déclare Faïrouz. « Originaire du Sud-Ouest, je retrouve ici l'ambiance des fêtes bayonnaises », ajoute Elsa, avant de chanter « Mourir sur scène » de Dalida.

Des effets sur le cerveau avérés

Au sein de cette chorale participative, la moyenne d'âge des participants gravite autour de la trentaine, mais englobe des étudiants d'une vingtaine d'années jusqu'aux retraités. La parité hommes femmes parmi les choristes est respectée, ce qui est assez remarquable pour être souligné, puisque les chorales sont traditionnellement plutôt féminines.

« C'est une chorale ludique et décontractée, pas très académique, ce qui explique peut-être cette mixité », justifie Marco Avallone. De plus, les morceaux interprétés sont intergénérationnels et populaires. C'est précisément ce qui séduit les choristes du Grand Bréguet : « Le fait d'avoir une multitude de répertoires rend la soirée plus amusante ; ce serait trop restreignant s'il n'y avait qu'un seul type de musique », sourit Anne-Charlotte.

 

Au cours de la soirée, les participants ont ressenti une réelle bouffée de bonheur. Pour le Pr Hervé Platel, docteur en neuropsychologie à l'université de Caen-Normandie et spécialiste des effets de la musique sur le cerveau, ces scènes de liesse collective sont médicalement explicables.
« Lors d'activités musicales collectives, comme la chorale, les corps et les cerveaux vibrent en synchronie, explique le médecin. De fait, des travaux d'imagerie cérébrale démontrent que lorsque des musiciens jouent ensemble, il s'opère un véritable phénomène de synchronisation cérébrale. Or, coordonner sa voix évoque le travail d'un instrumentiste. Cette synchronisation s'opère tant au niveau des régions auditives, de la mémoire et des émotions que des rythmes cérébraux eux-mêmes. »

L'appétence croissante pour le chant

En France, d'après une enquête Ifop pour l'association de chant choral amateur À cœur joie, près de 3,5 millions de Français sont inscrits dans une chorale. Cet engouement pour le chant collectif n'est pas nouveau, mais ses formes se diversifient, comme en témoigne cette chorale participative.

Clairie, créatrice du groupe choral Le Labo de Clairie, a observé l'appétence croissante de la population pour le chant après les confinements sanitaires de 2020 : « Pendant la pandémie de Covid-19, j'ai créé une application de coaching vocal. À l'issue de la pandémie, face à l'engouement suscité, j'ai lancé ma première chorale dans le 19e arrondissement de Paris. »

En septembre, son réseau comptera dix-neuf chorales et une pour enfants à Paris. « En chantant, notre cerveau libère de la dopamine, des endorphines et de l'ocytocine, comme lorsqu'on étreint quelqu'un. Les bienfaits sont multiples : l'oxygénation du sang, la mise à distance – c'est une sorte de méditation active », énumère la coach vocale, qui salue le format exploité par Marco Avallone.

À minuit, la soirée au Grand Bréguet s'est achevée dans les applaudissements et les rappels du public. Certains commencent déjà à perdre leur voix, comme Clémence, qui s'inquiète pour une réunion avec un client le lendemain matin. L'ensemble des participants semblent conquis. Alors, quand Marco Avallone leur donne rendez-vous en septembre pour une nouvelle chorale participative, nul doute que le bar sera de nouveau bien rempli.

Par Nathan Tacchi

Le Point - Publié le 09/08/2025 à 18h00

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